GUÉRIDON ART NOUVEAU EN NOYER ET PLATEAU MARQUETÉ EN ÉTAIN ET NACRE, ESTAMPILLÉ GEORGES REY, VERS 1900-1906

GUÉRIDON ART NOUVEAU EN NOYER ET PLATEAU MARQUETÉ EN ÉTAIN ET NACRE, ESTAMPILLÉ GEORGES REY, VERS 1900-1906

 

ORIGINE : FRANCE

ÉPOQUE : 1900-1906

 

Hauteur : 85 cm

Longueur totale : 113 cm

Largeur : 65 cm

Diamètre plateau : 57 cm

Bois de noyer, plateau marqueté en étain et nacre

 

 

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Description

CONTEXTE HISTORIQUE ET ART NOUVEAU

L’année 1900 marque le début d’une ère nouvelle, celle de la Belle-époque, qui est jalonnée par la présence des Expositions Universelles (1889, 1893, 1900, 1904, 1905, 1906, 1910). Ces événements permettent à la France de renouer avec son rayonnement européen tant par des découvertes technologiques que des nouveautés artistiques. 

Paris est la capitale qui synthétise ces deux aspects pendant les Expositions Universelles, notamment par la conception de la Tour Eiffel au bord de la Seine, qui est reliée par un nouveau pont, le Pont Alexandre III, inauguré en 1900. La même année, le métro est mis en service et le décor de ses entrées est imaginé par l’architecte Hector Guimard (1867-1942), représentant majeur de l’Art nouveau. 

 

L’Art Nouveau

L’Art nouveau, ou Art 1900, est un nouveau mouvement artistique qui fait son apparition en Europe à la fin du XIXème siècle et qui atteint son paroxysme dans les dix premières années du XXème siècle. Ce mouvement naît en réaction aux dérives de l’industrialisation et de la rigidité des bâtiments métalliques. 

Ce style s’appuie principalement sur un retour à la nature par des lignes et des courbes sinueuses. Les artistes et les architectes inventent des formes rythmées par des arabesques, des motifs issus de la faune, de la flore et de la vision de l’une femme imaginaire. Ces artistes s’inspirent de figures et des lignes que l’on retrouve dans la nature.

L’Art nouveau ne se limite pas à la simple représentation de la nature, mais à sa stylisation, par la création de la ligne « coup-de-fouet », c’est-à-dire, très sinueuse. 

Concernant le mobilier, à la fin du XIXème siècle, les goûts sont encore marqués par une reprise des styles précédents qui plaisent à la bourgeoisie, toujours fidèle aux vestiges du Second Empire. Toutefois, des créateurs parviennent à se détacher du passé en concevant un style singulier et unique. 

Ce style prend ses racines dans la filiation du mouvement Arts & Crafts de William Morris (1861) qui prend le contre-pied de l’époque en rejetant les produits de la révolution industrielle. Morris accorde une priorité au travail artisanal et au retour à la nature dans sa production, tant pour la forme que pour les matériaux. 

L’Art nouveau, inspiré par le Japonisme et par un univers idéalisé, parvient à se détacher de la tradition européenne en inventant des formes nouvelles pour certains meubles, dont notre guéridon. 

Ces meubles ne ressemblent à aucun autre. En outre, concernant le décor, la fleur a toujours été un élément central dans le mobilier, mais cette fois, elle n’est pas agencée en bouquet ou en guirlande, elle est libre et nouvelle. En effet, les créateurs imaginent des fleurs, ou s’inspirent de végétaux exotiques ou aquatiques, peu communs dans la tradition du mobilier. Nous retrouvons principalement des nénuphars, des iris, des algues, des ombelles ou du lierre sauvage.

 

LE GUÉRIDON, PAR GEORGES REY

 

Cet exceptionnel guéridon des années 1900 est l’œuvre de l’artiste Georges Rey. En effet, un cachet ovale fait mention du nom de l’artiste « G. REY », au revers du plateau en fine marqueterie. Nous ne connaissons que peu de choses de la vie de cet ébéniste de talent, si ce n’est que ce dernier possédait un atelier, au 44 rue de Charenton entre 1950 e 1920. 

En outre, l’ébéniste a participé à l’Exposition Universelle de Milan en 1906 et qu’il a remporté la médaille d’or dans sa catégorie : « Section 7/ Arts Décoratifs – groupe 41 à 45 » pour un meuble. 

Nous ignorons s’il s’agit de ce guéridon, ou d’un fauteuil, qui est actuellement exposé au Musée d’Orsay, intitulé « Le Jour et la Nuit. ». Ce fauteuil aurait appartenu à Sarah Bernhardt, et il a fait partie de la collection de Josette Rispal, avant qu’elle en fasse don au Musée d’Orsay en 2005.

Notre guéridon était conservé, pendant plusieurs décennies, dans la collection privée du célèbre commissaire-priseur et académicien Maurice Rheims. 

L’historien de l’art a écrit plusieurs ouvrages sur le thème de l’Art nouveau, dont L’Objet 1900 en 1964 et L’Art 1900 un an plus tard. Dans ce dernier livre, Maurice Rheims fait mention du guéridon dans un chapitre relatif au mobilier de cette période, sous cette mention : 

« Anonyme, table en olivier et plateau marqueté d’étain et nacre : l’origine de ce singulier objet en olivier sculpté nous est inconnue (…). »

Le guéridon est resté dans la famille après la mort de Maurice Rheims en 2003. 

Au regard des créations du style Art 1900, Georges Rey repousse, à l’extrême, les frontières de l’Art nouveau grâce à ses courbes végétales sinueuses et extravagantes qui ne répondent à aucune symétrie. En effet, la sculpture absorbe totalement la structure du meuble, racines et branches s’étendent à l’infini dans chaque recoin de ce guéridon. Le créateur imagine ainsi un écrin végétal et organique. 

Aucun autre ébéniste n’a osé développer à ce point ce style audacieux. Ce guéridon extravagant, au décor abondant annonce une nouvelle liberté d’expression. 

 

DESCRIPTION DU MEUBLE

 

Les âges de la vie 

 

Cet étonnant guéridon possède un très riche décor. En effet, il est soutenu par quatre pieds réunis par une entretoise sculptée en forme de racines stylisées. Les pieds sont reliés à l’entretoise par des branchages entrelacés. 

Ce meuble extraordinaire revêt une symbolique universelle en employant le thème de la vanité au travers de l’évolution de la vie, du berceau au tombeau. 

Tout d’abord, nous pouvons voir sur l’un des monticules qui composent le décor du piètement, un visage d’enfant qui se confond avec les lierres. Cette image est un symbole de résurgence, la vie semble se renouveler et sortir de la terre. C’est la première étape du cycle de la vie. Sur chaque pied se poursuit l’évolution de la vie d’une femme. Elle est d’abord jeune, souriante et innocente, puis amoureuse et sérieuse dans une autre scène, avant de voir apparaitre des rondeurs et des rides plus tard. Enfin, elle finit âgée et dans un état de décrépitude. Ce cycle est le reflet d’un art ancestral : celui des Memento Mori, particulièrement présents au Moyen-Âge et à la Renaissance. 

En outre, nous pouvons noter la présence d’une salamandre qui ondule avec agilité. Ce reptile, en plus d’être un symbole de la foi inaltérable, est symbole de renaissance, à l’instar du phénix. De fait, cette salamandre est liée aux cycles de la vie et de la résurrection comme l’explique l’alchimiste Michaël Maïer en 1613. 

Enfin, pour servir ce cycle de la vie, Georges Rey utilise un autre thème d’évolution, celui des quatre saisons. 

 

Les Quatre Saisons 

 

Les quatre pieds qui composent ce meuble extraordinaire représentent les différents âges de la vie par l’évolution des quatre saisons, un thème traditionnel dans le mobilier français depuis la Renaissance. Ainsi, chaque période de la vie correspond à une saison. 

 

Le Printemps

Nous commençons ce cycle des quatre saisons par le Printemps. Georges Rey personnifie le Printemps par une allégorie qui revêt les traits d’une jeune femme. Elle représenterait l’adolescence dans les âges de la vie.  Pour la composition, le sculpteur réalise le buste dénudé d’une jeune fille. Cette demoiselle nous montre son profil droit. Elle a les cheveux remontés et coiffés à la mode de la Belle-époque. 

L’allégorie esquisse un léger sourire mutin et semble donner un baiser à une colombe dont on aperçoit uniquement la tête et les ailes dans un faible relief. Cet oiseau est synonyme de pureté et d’innocence. Une autre colombe déploie ses ailes dans la partie droite du corps du guéridon. 

La nudité de la jeune femme est habilement cachée par un amoncellement de roses et de pivoines, en fleurs et en boutons. 

La partie gauche de cette scène est également tapissée d’une multitude de roses dont on devine les pétales et les feuilles dentelées, à la manière d’un fond millefiori. 

Le pied du meuble, en dessous de cette allégorie, reprend une forme végétale, tel un tronc d’arbre qui se termine par un petit massif rocheux. 

 

L’Été

La deuxième saison, l’Été, poursuit le cycle des âges et voici qu’arrive la saison des amours. Cette vision représente le début de l’âge adulte. 

La composition du décor donne une belle harmonie scène, dominée par le visage de la jeune femme. Le reste de son corps est dissimulé par de la végétation. Georges Rey représente magnifiquement la chevelure féminine avec des envolées de mèches et de boucles. 

Elle découvre ses premières amours avec un homme qu’elle embrasse du bout des lèvres. 

L’allégorie de l’été se traduit par l’évocation des récoltes avec les épis de blé caressés par le vent. Sur le torse de l’homme, une grande fleur d’hibiscus a éclos. Elle symbolise l’amour de l’homme pour la femme et la perfection des formes. 

 

L’Automne

En Automne, les vignes et le raisin ont remplacé les blés pour la saison des vendanges. La femme est à un âge mûr, son visage, enjoué par l’ivresse du vin, est plus marqué. Elle sourit, ses yeux sont rieurs. Elle est entourée par de grandes feuilles de vignes et des rinceaux qui s’enroulent, illustrant une nouvelle manière de percevoir la nature avec ses formes sinueuses et ses arabesques.

Georges Rey ne cache plus la nudité, il la dévoile sans l’érotiser. 

Cette représentation fait référence aux bacchanales, ces fêtes excentriques en l’honneur du dieu de l’ivresse, Bacchus. 

 

L’Hiver

La dernière saison représentée est donc l’Hiver. L’artiste reprend la figure traditionnelle illustrant ce thème : une allégorie rongée par le travail des années. Ici, le corps de la femme émerge d’un buisson de houx laissant apparaitre son sein gauche. 

Le travail accordé à cette saison est particulièrement remarquable, notamment dans la représentation réaliste de la vieillesse. 

La femme est au crépuscule de sa vie, le visage émacié, le regard craintif.

La vieille femme semble lutter contre un vent glacial. L’aile d’un corbeau recouvre sa tête, telle une coiffe. Nous observons, en effet, la présence de deux corbeaux en vol. L’un d’eux a le crâne tourné vers la femme, tandis que l’autre poursuit sa traversée dans ces vents-contraires. Dans la culture occidentale, le corbeau est perçu comme un oiseau de mauvais-augure, du fait de son plumage noir, de son cri rauque et de sa nécrophagie. Les contes populaires font de cet oiseau une apparition macabre et funeste, comme dans la nouvelle The Raven, (Le Corbeau) du romancier Edgar Allan Poe publiée en 1845. 

Le fond de la scène est parsemé de feuilles de houx, indéniablement liées à la période hivernale. La présence de ce végétal aux feuilles épineuses, qui semblent s’accrocher à la chair de la femme, renforce l’aspérité et la dureté de cette scène. 

 

Le plateau 

Le plateau de cette table de milieu, de forme circulaire, empreinte son décor en marqueterie, aux motifs japonisants, en vogue dès la seconde moitié du XIXème siècle, notamment chez les impressionnistes. La marqueterie se compose de différentes essences de bois, permettant des contrastes et des ombres sur le décor végétal. 

Cette scène évoque un paysage idéalisé où deux jeunes femmes sont en harmonie avec la nature. En effet, l’artiste représente le corps des femmes et de l’eau de la même manière, avec des incrustations de nacre de Paua. Cette nacre, provenant de Nouvelle-Zélande, offre une effusion iridescente de couleurs dont le bleu, le violet, et le vert. 

L’association de la couleur de l’eau à celle des deux corps nous livre une information cruciale concernant l’identification des deux jeunes femmes. De fait, elles apparaissent comme deux divinités aquatiques appartenant aux groupes des naïades. Dans la mythologie grecque, les naïades sont les nymphes des eaux douces.

D’après ce paysage, les deux divinités pourraient appartenir aux Limnades, nymphes des lacs. Ces naïades, se nourrissant d’ambroisie, avaient le pouvoir de régénérer leur beauté. 

Leurs visages est en nacre de Burgau, rehaussé par un filet de plomb pour les yeux. 

Dans ce décor burgauté, les Limnades sont sur les rives d’un lac bordé de roseaux et des joncs, surmontés de quenouilles et de fleurs qui s’accommodent à la forme du plateau. Dans la partie gauche, l’une des nymphes, agenouillée dans les eaux, semble écarter, de sa main gauche, des broussailles, surprenant un héron blanc sur le point de prendre son envol. 

L’autre Limnade, qui se tient debout, derrière sa compagne, est le personnage central de la composition du décor du plateau. La nymphe est cachée par un paravent de végétation. Dans une posture évoquant une aimable sensualité, elle passe sa main droite dans sa longue chevelure nacrée. 

Une ouverture dans la végétation, du côté droit du plateau, nous laisse deviner, en arrière-plan, un ciel bleu, ombragé par des nuages en marqueterie. L’incrustation d’étain à l’horizon permet de donner au ciel un aspect clair et lumineux. Nous retrouvons, sur les rives, trois hérons blancs. L’un d’eux tient dans son bec une grenouille qui se débat. 

 

LE CYCLE DES ÂGES DE LA VIE

Les âges de la vie sont une théorie qui consiste en la division de la vie selon différentes périodes distinctes par une évolution croissante. Cette conception apparait à l’Antiquité latine, permettant aux grecs de se situer selon la krisis, qui est une « classe des âges », fondée sur l’apparence physique.

La classification de l’Antiquité classique fait apparaître trois grandes distinctions d’âges: la jeunesse qui symbolise l’innocence et la pureté, l’âge adulte qui s’apparente à la maturité et la vieillesse représentant la sagesse.

Le philosophe Pythagore affine cette conception, en distinguant l’enfance, l’adolescence, la maturité et la vieillesse. Cette composition est reprise au Moyen-Âge par Philippe de Novare et par les artisans qui emploient ce thème, tant en sculpture qu’en peinture.

Dès lors, des auteurs comparent ces quatre périodes aux quatre saisons, qui évoluent de la même manière.

 

BIBLIOGRAPHIE

COLEMAN, Yves, Art Nouveau, Architecture et mobilier, L’art en son temps, Paris, 1999, p. 23

MAÏER, Michael, Arcana Arcanissima, S.1. 1613, p. 177

RHEIMS, Maurice, L’Art 1900, Arts et Métiers graphiques, Paris, 1965, p. 216

RHEIMS, Maurice, L’Objet 1900, Arts et Métiers graphiques, Paris, 1964

RHEIMS, Maurice, Haute Curiosité, coédition Robert Laffont-Opéra Mundi, Paris, 1975