PAIRE DE LIONS STYLOPHORES D’ÉPOQUE ROMANE EN BOIS SCULPTÉ

PAIRE DE LIONS STYLOPHORES D’ÉPOQUE ROMANE EN BOIS SCULPTÉ

 

ORIGINE : ITALIE
ÉPOQUE : XIIIe SIÈCLE

 

Mâle
Hauteur : 45 cm
Largeur : 29.5 cm
Longueur : 73 cm

Femelle
Hauteur : 43 cm
Largeur : 28 cm
Longueur : 83 cm

 

Très bon état de conservation

 

 

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Description

La lionne est sculptée en ronde-bosse dans un bois de belle nature qui aujourd’hui porte les marques du temps. L’animal est figuré couché sur le ventre, les pattes antérieures posées à plat en avant tandis que les pattes postérieures sont repliées. Le sculpteur a incisé sur les flancs de la lionne, des côtes stylisées bien soulignées. La gueule est légèrement redressée vers le haut, entrouverte on peut distinguer ses crocs. Les yeux, dans un style propre au début de l’art Roman, sont proéminents. L’animal porte sur son dos une base polygonale moulurée munie d’une cavité en son centre. C’est ici que venait s’encastrer la colonne.

Le lion répond au même dessin que la lionne. Les pattes antérieures sont très distinctement rendues, elles dépassent légèrement de la terrasse à laquelle l’animal semble s’agripper. La queue du lion, comme pour la lionne, est ramenée sous la cuisse fléchie pour venir effleurer son flanc. La crinière est exprimée par un travail raffiné de la surface, en mèches striées. La superposition régulière de ses mèches parvient à produire un certain effet d’épaisseur. Il porte lui aussi une base polygonale sur son dos. 

Le terme stylophore est composé des termes grecs style, la « colonne », et phore, « porter ». Il s’agit donc de désigner la fonction de ces éléments d’architecture. On trouve le plus ancien exemple de lions stylophores appliqués à l’architecture chrétienne dans l’Italie septentrionale du XIe siècle. La cathédrale de Modène, signée en 1099 par le sculpteur Wiligelmo et l’architecte Lafranco, présente un portail encadré par une paire de lions stylophores antiques. L’historien de l’art américain Kingsley-Porter propose de voir dans ce remploi de ruines romaines le point de départ d’un phénomène – le portail encadré de lions – qui essaimera dans toute l’Europe et sur plusieurs siècles. 

En effet cette configuration romane du portail d’église gardé par un couple de lion stylophore se retrouve en de nombreux endroits. Citons les portail de la cathédrale de Ferrare (fin du XIIe siècle), de la cathédrale de Fidenza (fin du XIIe siècle), l’église conventuelle San Quirico à Orcia (fin du XIIe siècle), la cathédrale de Bozen dans le Tyrol italien, l’église Saint-Nicolas à Werden en Westphalie aujourd’hui détruite, la basilique San Zeno Maggiore à Vérone, la cathédrale d’Embrun en France (début XIIIe siècle) ou encore dans les Alpes françaises à l’église de Saint-Véran rebâtit au XVIIe siècle et où un lion stylophore de l’édifice antérieur a été remployé.

Si selon le grand historien de l’art médiéval Emile Mâle cet usage du lion n’est que décoratif, un vraisemblable emprunt aux motifs de textiles orientaux, il semble qu’il puisse aussi révéler un contenu beaucoup plus symbolique. Et ce sont les textes du haut Moyen-Âge qui peuvent nous renseigner.

Entre le IIe et le IVe siècle de l’ère Chrétienne est rédigé un traité nommé Physiologus dont le succès fut aussi phénoménal que pérenne. Il s’agit d’une véritable exégèse consacrée au règne animal, un bestiaire étonnant par lequel l’auteur dresse une typologie christique. Les animaux deviennent, par leurs propriétés et leurs caractéristiques, à la fois des images du Christ et des modèles de vie chrétienne. Le lion notamment occupe une place de choix dans ce recueil. On y apprend que l’animal aurait l’habitude d’effacer les traces de ses pas lorsqu’il se déplace. L’auteur y voit une allusion à Jésus qui, semblablement, évoluait parmi les hommes sans se révéler. On y apprend aussi que lorsque la lionne met bas les lionceaux ne prennent vie que trois jours plus tard ce qui n’est pas sans évoquer le Christ qui ressuscita le troisième jour. Enfin le Physiologus explique que le lion paraît dormir les yeux ouverts. Et cela justifie parfaitement d’en faire des gardiens.

Les placer spécifiquement aux portails des églises n’est pas dépourvu de sens. Au Moyen-Âge une coutume répandue consistait à rendre justice au portail des église, au portail sud précisément, ce que rappellent encore aujourd’hui les bas-reliefs de certains portails figurant le Jugement de Salomon (c’est le cas à Strasbourg en France ou à Leon en Espagne par exemple). Ce portail pouvait être protégé par un toit et être entouré d’une barrière afin que les débats judiciaires s’exécutent à l’abris du mauvais temps et de la foule. L’inclusion des lions – animaux symboles de force et de courage – dans l’architecture de portail particulier rappelait là encore Salomon, le juge exemplaire, dont le trône était flanqué de ces félins. Ainsi le lion incarnait le pouvoir juridique autant que la souveraineté du tribunal. Une expression latine traduit l’importance qu’avait pris ces lions stylophores ; on disait que les actes de justice étaient conclus inter duos leones 

Toutefois les supports sculptés à l’image du lion pouvaient être attribués à d’autres éléments ; à des ambons, des fonts baptismaux, des chaires. A la basilique Saint Jean de Latran à Rome une paire de lions stylophores est placée à une ouverture de la galerie du cloître par exemple.

La paire de lion stylophore que nous proposons est sculptée dans le bois ce qui en fait une œuvre extrêmement rare par la nature périssable du matériau mais surtout par l’absence manifeste de comparaisons en musées et en collections privées. Inadapté pour supporter une colonne de marbre ce couple de lion nous rappelle que les églises les plus modestes étaient alors construites à pans de bois et non pas maçonnées. L’église Sainte Madeleine de Trie-le-Château dans le Vexin français présente encore aujourd’hui un pignon oriental à pans de bois, exécuté autour de 1200. De même il n’était pas rare que le porche de l’église soit entièrement réalisé en bois, accolé à la façade qu’elle soit de pierres, de briques ou de bois. C’est la configuration à laquelle appartenait notre paire : les deux lions formaient la base des deux colonnes d’un porche en bois.

Ce couple de lions stylophores d’époque Romane en bois est une pièce extrêmement rare évoquant un paysage architectural et des coutumes aujourd’hui disparues ainsi qu’un délicat témoignage des tentatives naturalistes des sculpteurs du Moyen-Âge.