Description
Le XVème siècle représente pour l’Allemagne, une période de prospérité. Le commerce florissant favorise l’essor économique des cités allemandes.
Dans ce contexte, les ateliers d’artistes s’y épanouirent. Si autrefois ils étaient attachés aux grands chantiers religieux, ils sont désormais indépendants. Ils répondent aussi bien aux commandes des princes, des mécènes et hommes d’Église. L’importance du nombre de commandes est également liée à l’évolution de la spiritualité davantage tournée vers la dévotion privée et la méditation contemplative personnelle.
Ainsi, à côté des grands retables destinés à orner les plus importants édifices religieux, les sculpteurs réalisent des oeuvres de dimensions plus réduites à destination des chapelles et oratoires privés.
Les métiers d’artisan, sculpteur, peintre ou menuisier, sont strictement encadrés par les corporations, ce qui contribue à l’épanouissement de ces ateliers en les protégeant contre la concurrence étrangère. Cela explique la prospérité des ateliers et l’abondance de leur production. Pour répondre à la demande, le maître ne travaille pas seul mais s’entoure de compagnons et d’apprentis dont le nombre varie.
Ce travail collaboratif implique une transmission des modèles formels et des schémas de composition mis en place par le maître garantissant ainsi l’homogénéité de la production. Ces modèles circulent également au-delà de l’atelier, grâce aux dessins et gravures. Sur cette base, les sculpteurs proposent d’infinies variations au grès de leurs interprétations. Cela explique la grande cohérence et l’unité de la sculpture souabe des années 1430-1550.
Cette période, marquée par un renouveau stylistique, correspond au gothique dit tardif ou « spätgotik », souvent considéré comme l’une des périodes les plus brillantes dans l’Art Allemand. Dès lors, les formes se raidissent, les figures se font plus solides, les lignes souples des drapés plus sobrement travaillés se brisent et retombent près du corps. Le rôle ornemental de la draperie est prépondérant. Les visages des sculptures au front large et aux joues pleines se terminent par un petit menton rond. La polychromie joue un rôle extrêmement important. Soulignant avec beaucoup de raffinement certains détails de la sculpture, elle permet également de préciser les formes, les textures des vêtements et le modelé des visages, tout en accentuant les expression.
En Souabe, le chef de file de ce style est Hans Multscher (présent à Ulm dès 1427). Sous son ciseau, les silhouettes deviennent plus compactes et stables, elles s’animent en surface de plis amincis et raidis, rythmés de cassures anguleuses et d’ondulations au bord des étoffes. Les visages ont des traits affirmés, des formes pleines, un menton charnu et un cou robuste, de grands yeux, des lèvres fermes au modelé délicat.
L’oeuvre de Multscher trouve un écho dans la sculpture de Nicolas de Leyde, à Strasbourg, de Veit Stoss à Nuremberg ou encore de Tilman Riemenschneider à Wurtzbourg. Mais c’est bien sûr en Souabe, à Ulm, que le style de Hans Multscher aura le plus de résonance.
De 1450 à 1530, Ulm est l’un des principaux centres de productions artistiques. On y trouve les ateliers des plus grands maîtres, Michel Erhart (actif à Ulm entre 1469 et 1522), Niklaus Weckmann (actif à Ulm de 1481 à 1526), Daniel Mauch (Ulm, 1477 – Liège, 1540) qui chacun à leur façon réinterpretent les modèles multscheriens : Douceur paisible, sensibilité délicate, grâce réservée, recherche d’expression, familiarité des détails, rythmes décoratifs des drapés.
DESCRIPTION
La sculpture présente ici s’inscrit parfaitement dans ce mouvement du spätgotik. Elle est réalisée dans un bois de tilleul de belle qualité. Le bois de tilleul est particulièrement en faveur auprès des sculptures de tout le sud de l’Allemagne, dès le milieu du XVe siècle. Ce bois léger et homogène permet une taille précise, un rendu fin et un très beau poli.
Figure d’applique, elle provient, sans nul doute, d’un retable.
Notre sainte est représentée debout. Sa silhouette est svelte et longiligne. Elle est vêtue d’une robe, ceinturée à la taille. Un manteau vient la recouvrir. Son genoux fait très légèrement saillie sous son vêtement, influençant les plis du drapé. Celui-ci est marqué d’une succession de plis en V et quelques brisures au niveau des pieds. L’étoffe du manteau est ramenée sur le devant du corps, sur la bordure se dessine quelques calmes ondulations.
Sa tête, couverte d’une coiffe évoquant un turban, est légèrement inclinée vers la gauche. L’expression douce et paisible de son visage, son regard songeur sous les paupières baissées dégagent un sentiment de calme intimité.
L’oval de son visage plein, au front bombé et au double menton prononcé, son nez droit, ses lèvres minces aux commissures légèrement relevées, esquissant un sourire, et son petit menton rond, indiquent l’influence de la sculpture multscherienne.
Sa chevelure ondulée se répand sur ses épaules et dans son dos.
De sa main droite aux doigts courts mais fins et délicats, elle tient un livre ouvert.
Comme le suggère le vide laissé par la main gauche, celle-ci était rapportée à la sculpture et non sculptée dans la masse. Cela est typique des oeuvres de cette époque. Malheureusement son absence nous empêche de proposer une identification certaine pour cette Sainte femme. Néanmoins, le « turban » qui coiffe sa tête, couramment employé dans la sculpture souabe du XVe siècle indique, à l’instar d’une couronne, une noble naissance.
En outre, sa longue chevelure dénouée est réservée aux jeunes filles tandis que les femmes mariées ou d’âge mûr dissimulent leur chevelure sous un voile.
Il pourrait alors s’agir de sainte Catherine, sainte Ursule, sainte Agnès ou sainte Barbe.
Sainte Barbe semble l’hypothèse à privilégier car l’attitude de la Sainte qui tenait dans sa main gauche son attribut est cohérente avec Sainte Barbe tenant un calice souvent surmonté d’une hostie. Le livre était également un attribut de Sainte Barbe.
La douceur de l’expression de la Sainte, sa grâce tranquille et sa tendre sensibilité sont typiques de la sculpture gothique souabe. Les différentes caractéristiques de la sculpture évoquée précédemment montrent une dépendance envers l’oeuvre tardive de l’atelier de Hans Multscher dans les décennies 1450-1460.
Cela place la réalisation de la sculpture présente ici, à Ulm, dans les dernières décennies du XVe siècle, vers 1480.
BIBLIOGRAPHIE
Michael Baxandall, South German Sculpture, 1480-1530, Victoria and Albert Museum, 1974.
Damien Berné (dir.), Sculptures Souabes de la fin du Moyen Age, Editions de la Réunion des musées nationaux, 2015.
Jacqueline Boccador, Les diverses tendances du Spätgotik, Dehon, Paris.
Collectif, Dévotion et séduction, Sculptures souabes des musées de France, vers 1460-1530.
Collectif, Sculptures allemandes de la fin du Moyen Age dans les collections publiques françaises, 1400-1530, Louvre.








